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L’intelligence est une bêtise, et autres paradoxes 12 février 2012

Filed under: de Guanaco,philosophie — VetG @ 20:28
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De Guanaco 

En complément à l’article de l’elfe dans Les questions composent,  j’aimerais faire quelques détours sur les mots « extrémisme » et « juste milieu ».

1/ Extrémisme 

Le terme d’extrémisme témoigne de la pensée scalaire qui s’applique à des sujets d’éthique et de philosophie.

 

Voici ce que j’entends par la pensée scalaire

La pensée scalaire est très utile en science, où tout implique de connaître les mathématiques, et de mettre les choses sur une échelle de valeurs numérique. En philosophie, à mon avis, il faut se méfier de cette pensée, qui devient très vite aberrante.

 Petrus Camper (1722-1789), Transition de l’angle facial, du singe à queue jusqu’à Apollon

Camper, à la fin du XVIIIème siècle, hiérarchise les espèces animales en fonction de l’angle de la droite front-bouche avec l’horizontale. 42°, c’est le singe à queue, un vulgaire abruti. 58°, c’est l’orang-outan, un peu plus malin. 75°, c’est un jeune nègre : on n’en peut pas tirer grand chose, explique Camper, à peine quelques mots qu’il serait de mauvais goût d’appeler une langue. Pareil pour les kalmouks. 80-90°, c’est nous, les Européens, les plus intelligents encore en vie. 100° c’est les statues grecques, et notamment Apollon, un modèle de perfection et d’intelligence. Pour Camper, toutes les caractéristiques d’un individu (intelligence, bonté, courage…) se réduisent, en dernier ressort, à une valeur numérique.

Comment peut-on à ce point ignorer et aplanir les différences entre individus ?

Cette pré-science enfante au XIXème la « physiognomonie », l’étude des physionomies, qu’entreprend avec joie le suisse Johann Kaspar Lavater (1741-1801).

 Lavater, De la grenouille à Apollon

La supériorité de l’homme sur l’animal est ici prouvée par la pensée scalaire : l’angle est de plus en plus grand (quoique Lavater dessine très mal), montrant bien que la grenouille est conne comme un caillou, et qu’Apollon a un gros nez.

L’empathie est désactivée par la pensée scalaire, la pensée scientifique : c’est des hiérarchies à la Lavater qui permettent la vivisection des grenouilles en classe de science.

 « Oui, mais l’angle de son front avec l’horizontale est d’à peine 30°, alors bon… »

L’éthique n’est pas scalaire. Il ne s’agit pas de donner une valeur à tous les actes et de poser une addition pour mesurer la moralité. L’éthique, ça se sent. Les idées c’est pareil : il n’y a pas d’extrémisme dans les idées puisqu’il n’y a pas d’extrémité. Il n’y a pas d’extrémité puisqu’il n’y a pas d’échelle.

2/ Juste milieu

D’où vient cette idée de « juste milieu » ? Hélas, de très loin. En fait, pour retrouver un équivalent de cette expression, il faut parler latin.

Auream quisquis mediocritatem
diligit, tutus caret obsoleti
sordibus tecti, caret invidenda
sobrius aula.

Je suis bon avec vous, voici la traduction :

Qui sait chérir la médiocrité
Toute d’or, fuit autant la poussière
D’un vil réduit que le seuil tourmenté
D’une maison princière.

C’est l’Ode 10 livre II, d’Horace. Aurea mediocritas : le voilà, notre juste milieu. Qu’est-ce que ça veut dire, cette – littéralement – « modération dorée » dans la tête d’un latin ? Voulais-tu dire, Horace, que la valeur de toute chose suit une courbe de Gauss ?

 Courbe de Gauss

Mais alors, est-ce qu’il faut modérément de la modération ? Est-ce qu’il faut être modérément content-e de sa personne (Horace, on ne peut pas dire que tu aies été modéré là-dessus…) ?

En fait, ce qu’il entend par « modération », comme le montre l’évocation des « vils réduits », qui étaient bien dans la moyenne des habitant-e-s de Rome, c’est simplement : ce dont Horace lui-même a l’habitude. Le juste milieu, c’est un idéal conservateur : le trop, c’est ce dont on n’a pas l’habitude. Horace vit chichement, aux frais de son protecteur Mécène, et pour lui, le « vil réduit », c’est plus de pauvreté que d’accoutumée.

Ainsi, le contraire de l’aurea mediocritas, dans la tête d’un latin, c’est l’insolentia, l’insolence – ou étymologiquement l’insolite, l’inhabituel.

C’est dire si les végétalien-ne-s en France, vu leur représentation dans la population, sont tous insolites, insolent-e-s et extrémistes.

 

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